JURISPRUDENCE – Construction : Précision sur la notion de réception partielle par tranche
Le 8 juin 2022
La Cour de cassation vient de rendre une nouvelle décision sur la réception partielle, création prétorienne de la jurisprudence.
En principe, la réception est un acte unique.
Par exception, la jurisprudence a cependant admis certaines dérogations à ce principe et a envisagé la réception par lot ou par tranche.
C’est ainsi que la Cour de cassation admet la réception d’un lot alors que le marché en comprenait plusieurs mais refuse la réception partielle de travaux au sein d’un même lot (Cass. Civ. 3ème, 5 novembre 2020, n°19-10.724 ; Cass. Civ. 3ème, 2 février 2017, n°14-19.279
Dans ce nouvel arrêt, la Cour de cassation est venue, là encore, délimiter les contours de la réception partielle en relevant que la réception de travaux qui ne constituent pas des tranches indépendantes ou ne forment pas un ensemble cohérent ne vaut pas réception au sens de l’article 1792-6 du Code civil (Cass.civ.3, 16 mars 2022 n° 20-16.829)
En l’espèce, les propriétaires non-exploitants, d’un hôtel ont souhaité réaliser des travaux d’agrandissement.
Sont notamment intervenus dans le cadre de cette opération :
- Un architecte dont la mission a été arrêtée après l’obtention du permis de construire,
- Une entreprise, chargée d’un marché de travaux « hors d’eau-hors d’air et aménagement intérieur du bâtiment »,
- Une autre entreprise chargée du terrassement et des enrochements.
En cours de chantier, des difficultés sont apparues au niveau de l’implantation du nouveau bâtiment.
Le chantier a alors été arrêté sans être terminé.
Le permis de construire a été modifié pour prendre en compte la nouvelle implantation de l’ouvrage sans pour autant que les travaux reprennent.
Le 15 juillet 2004, un procès-verbal de réception a été régularisé entre le maître d’ouvrage et la société chargée des travaux « hors d’eau-hors d’air et aménagement intérieur » mentionnant deux réserves relatives à des finitions du second étage et aux menuiseries intérieures.
Se plaignant de diverses non-conformités et inachèvements, le maître d’ouvrage a sollicité une mesure d’expertise. Par ordonnance en date du 23 avril 2009, il a été fait droit à cette demande. L’expert judiciaire a déposé son rapport le 26 novembre 2012.
Par acte en date du 26 novembre 2014, le maître d’ouvrage et l’exploitant de l’hôtel ont assigné les constructeurs et leurs assureurs aux fins d’être indemnisés des préjudices subis du fait des divers désordres ainsi que de l’inachèvement des travaux.
Par jugement en date du 4 août 2017, le Tribunal de grande instance de Bonneville a fait droit à la demande du maître d’ouvrage et de l’exploitant et ont condamné les constructeurs et leur assureur sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
En appel, le constructeur, chargé des travaux « hors d’eau-hors d’air et d’aménagement intérieur », a contesté toute responsabilité au motif que le procès-verbal de réception régularisé le 15 juillet 2004, avait purgé les désordres apparents.
Par un arrêt en date du 18 février 2020, la Cour d’appel de Chambéry a confirmé le jugement rendu en première instance et a considéré que « s’il est constant que la réception partielle n’est pas prohibée par la loi, c’est à la condition qu’elle intervienne par lots.
Or, la réception partielle qui est intervenue suivant procès-verbal du 15 juillet 2004, porte sur des travaux inachevés et définitivement arrêtés en 2005. La réception n’a pas été effectuée par lots, mais concerne les travaux du rez de chaussée et du 1er étage, sans autre précision. »
Le constructeur a formé un pourvoi en cassation.
Aux termes de son pourvoi, elle estimait que la réception partielle intervenue, suivant procès-verbal du 15 juillet 2004, vaut réception au sens de l’article 1792-6 du code civil car la réception partielle n’est pas limitée à une réception par lots mais peut concerner tout ensemble cohérent. En l’espèce, le constructeur considérait que les travaux réalisés au rez-de-chaussée et au 1er étage constituaient précisément un ensemble de travaux cohérent et donc une tranche de travaux.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation.
Elle relève que les juges du fond ont souverainement apprécié que la réception partielle ne portait pas sur une réception par lots mais sur les travaux du rez-de-chaussée et du premier étage, sans plus de précision.
Elle indique qu’il n’était pas soutenu que ces travaux constituaient des tranches de travaux indépendantes ou formaient un ensemble cohérent.
De cette décision, il ressort qu’il revient au constructeur, qui se prévaut de la réception partielle d’un ouvrage, de rapporter la preuve que la réception concernait un lot ou une tranche de travaux indépendants.
Une tranche de travaux est constituée par un ensemble cohérent de travaux. La réception de travaux étage par étage d’un hôtel n’est pas suffisant à elle seule à rapporter la preuve d’une réception partielle. Le constructeur aurait dû rapporter la preuve que les travaux réalisés au sein de ces étages constituaient un ensemble de travaux cohérent.
Manon PHILIPPONNEAU
Avocat
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