Le JEX, le Covid et la dette de loyer

Le 5 février 2021

Tribunal judiciaire de Paris – Juge de l’Exécution – 20 janvier 2021 – RG n° 20/80923

La science juridique poursuit ses efforts pour essayer de traiter au mieux les preneurs à bail commercial poursuivis par les bailleurs devant les juridictions pour le règlement des loyers pendant la période dite de « confinement » lors de laquelle toute exploitation était interdite.

 Le dernier « candidat vaccin » vient d’être testé par le Juge de l’Exécution du Tribunal Judiciaire de Paris qui, dans un jugement en date du 20 janvier 2021, a ordonnée la mainlevée partielle d’une saisie-attribution effectuée au titre d’une créance de loyers revendiquée par le bailleur au titre de cette période.

Cette décision est intéressante même si elle interroge à plusieurs égards.

En premier lieu, il faut noter le cadre particulier dans lequel s’est inscrit le litige.

En effet, le bailleur avait pris l’initiative d’effectuer une saisie-attribution sur les comptes bancaires du preneur en se prévalant du contrat de bail notarié qui constitue un titre exécutoire en application de l’article L 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution.

Ce titre contractuel qui devient un titre exécutoire du seul fait de l’apposition de la formule exécutoire par un officier ministériel autorise en effet le bailleur à effectuer des mesures d’exécution telles que des saisies sans examen préalable par un juge des obligations respectives des parties.

Bien évidemment le débiteur saisi, en l’occurrence le preneur peut contester cette saisie devant le Juge de l’Exécution dont la compétence spécifique est fixée par l’article L 213-6 du Code de l’organisation judiciaire.

Le Juge de l’Exécution est en effet « juge de la saisie » et connait, selon l’article L 213-6 précité « des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée ».

La Cour de cassation dans un avis en date du 16 juin 1995 a considéré que le Juge de l’Exécution n’a pas compétence pour connaître des demandes tendant à remettre en cause, dans son principe, la validité des droits et obligations qu’il constate (Cass. Avis, 16 juin 1995, n° 09-50.008).

Par la suite, la Cour de cassation a jugé que le Juge de l’Exécution avait le pouvoir d’apprécier la validité d’un acte notarié exécutoire argué de nullité (Cass. Civ. 2ème, 18 juin 2009, n° 08-10.843).

En l’espèce, le preneur n’invoquait pas la nullité de l’acte notarié mais considérait qu’il n’était pas tenu de payer sa dette de loyer pendant la période durant laquelle il n’avait pas pu exploiter du fait des mesures gouvernementales lui interdisant d’ouvrir son établissement.

 Il s’agissait donc bien d’une contestation portant, non pas sur la validité du titre exécutoire en lui-même, mais d’une contestation portant sur les droits et obligations résultant de ce titre.

Il est donc permis de s’interroger que le fait de savoir si le Juge de l’exécution était bien compétent pour trancher cette contestation de l’obligation au paiement du loyer.

En second lieu, et sur le fond, la décision du Juge de l’Exécution est assez audacieuse.

Il considère en effet que l’impossibilité juridique survenue en cours de bail, résultant d’une décision des pouvoirs publics, d’exploiter les lieux loués est assimilable à destruction de la chose louée visée à l’article 1722 du Code civil, peu important à cet égard la clause de non-responsabilité invoquée par le bailleur.

Il en déduit que cela a pour effet de libérer le preneur de l’obligation de payer le loyer tant qu’il ne peut pas jouir de la chose louée.

Cette décision a le mérite d’éviter l’écueil de l’imputabilité de la situation à telle ou telle partie ou d’analyser la nature de l’obligation dont l’exécution serait empêchée par ce qui constituerait un cas de force majeure.

Ce n’est pas, en effet, par un manquement du bailleur à son obligation de délivrance que le preneur ne pourrait pas jouir du bien loué.

De même, il importe peu de savoir si la force majeure peut ou non être invoquée par le preneur tenu à une obligation de paiement dont l’exécution n’est par nature pas impossible.

C’est la décision gouvernementale d’interdiction qui a pour conséquence la « destruction » temporaire de la chose louée ce qui autoriserait le preneur à ne pas régler le loyer.

Il est cependant permis de s’interroger à deux égards.

On notera en effet que le Juge de l’Exécution raisonne, de son aveu même, par « assimilation ».

La définition en biologie de l’assimilation est la propriété caractéristique de tous les êtres vivants qui consiste à introduire dans l’organisme des molécules différentes de celles qui le constitue et à les transformer de façon à les rendre identiques à ces dernières.

D’une manière générale, l’application d’un texte de Loi à une situation différente par le mécanisme de l’assimilation reste un exercice périlleux.

Enfin, on ne peut qu’être circonspect sur les effets de cette « assimilation ».

En effet, en application de l’article 1722 du Code civil, si la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié. Si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut demander une diminution du prix ou la résiliation du bail.

Dans la décision commentée, le preneur est libéré de son obligation au paiement ce qui constitue une suspension de ses obligations pendant la période d’interdiction.

Or, la suspension n’est ni la résiliation ni la diminution du prix, pour autant que l’on puisse considérer que l’interdiction temporaire d’exploiter constitue une destruction partielle.

Nous verrons dans les prochaines semaines si cette décision est reprise et si elle peut constituer un passeport immunitaire pour les preneurs confrontés à ces dettes de loyer.

Il me semble prudent, à ce stade, de poursuivre la recherche. Il apparait notamment que le mécanisme de la révision pour imprévision reste une piste solide à exploiter.

Références

  • Articles 1722 du Code civil
  • Articles L 111-3 du Code des procédures civiles d’Exécution
  • Article L 213-6 du Code de l’Organisation judiciaire
  • Avis, 16 juin 1995, n° 09-50.008
  • Civ. 2ème, 18 juin 2009, n° 08-10.843

 

Joachim BERNIER

Avocat associé – MRICS

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