JURISPRUDENCE – Baux commerciaux – Quand le congé avec offre de renouvellement ouvre droit à une indemnité d’éviction au profit du preneur

Le 11 janvier 2024

Quand le congé avec offre de renouvellement ouvre droit à une indemnité d’éviction au profit du preneur.

Cass., 3ème chambre civile, 11 janvier 2024, n° 22-20.872

Nul doute que l’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 11 janvier dernier et publié au bulletin va être de nature à inquiéter les rédacteurs de congé en matière de bail commercial qui ont imaginé vouloir se ménager une marge de négociation sur les conditions du nouveau bail.

En effet, il était d’usage de considérer qu’il existait trois types de congé :

  • Le congé avec offre de renouvellement n’offrant pas droit (par nature) à une indemnité d’éviction.
  • Le congé sans offre de renouvellement avec offre d’indemnité d’éviction.
  • Le congé sans offre de renouvellement et sans offre d’indemnité d’éviction.

Avec cet arrêt, la Cour de cassation crée un nouveau cas :

  • Le congé avec offre de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction au profit du preneur.

L’analyse précise de l’arrêt rendu est nécessairement plus subtile que cette conclusion provocatrice car ce congé avec offre de renouvellement ouvrant droit à une indemnité d’éviction est en réalité un congé requalifié en congé sans offre de renouvellement du fait d’une rédaction hasardeuse.

Il reste que dans les faits de l’espèce, le bailleur avait bien proposé à son locataire un nouveau bail et libellé le congé comme étant fait « avec offre de renouvellement », cependant qu’il subordonnait sa proposition à une modification de la consistance des locaux et des obligations du preneur au titre de l’entretien du bien.

En suite de la délivrance de ce congé, le locataire a quitté les lieux et assigné le bailleur en règlement d’une indemnité d’éviction.

En cause d’appel, le locataire a été débouté de sa demande, la Cour d’appel de Bordeaux ayant considéré que les modifications auxquelles le bailleur entendait subordonner l’offre de renouvellement ne pouvaient s’inscrire dans le cadre d’un congé avec offre de renouvellement.

Elle relevait en outre que le congé, en ce qu’il exprimait une offre de régularisation d’un nouveau bail, ne pouvait pas davantage s’analyser en un congé sans offre de renouvellement.

En résumé, selon la Cour d’appel de Bordeaux, le congé était nul et le preneur s’était maintenu dans les lieux sans opposition du bailleur jusqu’à son départ volontaire ce qui lui interdisait de demander le versement d’une indemnité d’éviction.

Telle n’est pas l’analyse de la Cour de cassation aux termes de cet arrêt rendu au visa des articles 1103 du Code civil, L 145-8 et L 145-9 du Code de commerce.

Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle qu’à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix du loyer du bail renouvelé.

Elle rappelle en outre qu’un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule volonté de son auteur.

Par une contraction des ces deux propositions, la Cour en conclut que le congé a bien mis fin au bail et que l’offre de renouvellement n’étant pas régulière, le congé doit être requalifié comme étant un congé sans offre de renouvellement ouvrant droit à une indemnité d’éviction.

Cet arrêt appelle plusieurs remarques.

En premier lieu, on peut relever que la position retenue par la Cour d’appel de Bordeaux n’était pas sans mérite.

En effet, si le congé met fin au bail par la seule manifestation de volonté de celui qui l’a délivré, on est en droit de s’interroger sur les contours de la volonté du bailleur qui précisément offre un nouveau bail.

Est-ce que la requalification du congé en congé sans offre de renouvellement correspond à la volonté de l’auteur de l’acte ?

Dans ce contexte, le fait de retenir que le congé était nul car il ne s’agissait ni d’un congé avec offre de renouvellement régulier, ni d’un congé sans offre de renouvellement, était sans doute plus respectueux de l’expression de la volonté des parties sans préjudicier leurs droits.

En deuxième lieu, il faut également que les preneurs soient très attentifs à la rédaction du congé qu’ils ont reçu.

En effet, si le congé présenté comme étant fait avec offre de renouvellement est susceptible d’être requalifié en congé sans offre de renouvellement, il devra s’assurer que le renouvellement est bien formalisé.

Il ne pourra pas se contenter d’accepter le principe du renouvellement, lequel n’est pas valablement offert par le congé, en attendant l’expiration du délai de deux ans pour faire constater que le bail s’est renouvelé aux clauses et conditions du bail antérieur y compris le montant du loyer si le juge n’a pas été saisi dans ce délai.

Le bailleur pourrait en effet demander à requalifier son congé initial en congé sans offre de renouvellement et sans indemnité d’éviction et demander au locataire de quitter des lieux tout en faisant constater que l’action en paiement d’une indemnité d’éviction du preneur est prescrite.

En troisième lieu, ce qui est valable pour la rédaction d’un congé l’est également pour la demande de renouvellement. Cela signifie qu’une demande de renouvellement faisant mention de nouvelles conditions proposées par le preneur au bailleur (excepté le montant du loyer) ne permettront pas au preneur de considérer le principe du renouvellement comme acquis même en cas d’absence de réponse du bailleur dans les trois mois de la notification de la demande.

Il y a fort à parier qu’à la suite de cet arrêt, un contentieux important de requalification des congés va s’ouvrir.

Le contentieux de la responsabilité des rédacteurs de congé en matière commercial est également promis à un bel avenir.

On ne peut, une nouvelle fois, qu’inviter les parties à un bail commercial à se faire assister à toutes les étapes de ce contrat de bail, par des professionnels de la matière tant les risques encourus par un défaut de maîtrise est susceptible d’entrainer des conséquences très coûteuses.

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