
JURISPRUDENCE – Baux commerciaux – Les clauses de non-recours et les clauses de transfert à l’épreuve de l’obligation de délivrance
Le 5 mai 2025
Cass. Civ. 3e, 10 avril 2025, n° 23-14.974 FS-B et n° 23-14.099
Dans deux décisions rendues le 10 avril 2025, la Cour de cassation rappelle avec force que l’obligation de délivrance du bailleur dans un bail commercial est fondamentale, autonome et non écartée par des clauses générales, telles que celles de non-recours, de prise en l’état ou de mise aux normes.
Pour rappel, aux termes des articles 1719 et 1720 du Code civil, le bailleur doit, même sans stipulation particulière :
- délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation,
- l’entretenir pour l’usage prévu,
- garantir la jouissance paisible au locataire pendant toute la durée du bail.
En bail commercial, cela implique une délivrance matérielle (mise à disposition effective) et juridique (local adapté à l’activité autorisée par le bail). Il ne suffit pas de remettre les clés ; le bien doit être conforme à sa destination contractuelle, et exempt de désordres majeurs.
📌 Affaire n° 23-14.974 FS-B : Infiltrations d’eau et clause de non-recours
Un locataire qui subit des infiltrations dans les locaux loués, engage une procédure d’expertise puis donne congé, et réclame le remboursement partiel des loyers et des dommages-intérêts. Le bailleur s’appuie sur une clause de non-recours (selon laquelle « le preneur s’engage pour lui-même et ses assureurs à renoncer à tout recours contre le bailleur et ses assureurs du fait de la destruction ou de la détérioration totale ou partielle de tous matériels, objets mobiliers, valeurs quelconques et marchandises, du fait de la privation ou de troubles de jouissance des lieux loués et même en cas de perte totale ou partielle des moyens d’exploitation »).
La Cour d’appel rejette les demandes du locataire au motif que cette clause le prive de toute demande d’indemnisation pour manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
Mais la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 1719 et 1720 du Code civil : « une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance »
En d’autres termes, une clause de non-recours ne peut pas exonérer le bailleur de son obligation de délivrance, sauf stipulation expresse et précise transférant clairement cette obligation au locataire. Et, au besoin, elle sera soumise à une interprétation stricte.
🔥 Affaire n° 23-14.099 : Incendie, travaux de mise aux normes et clause de non-recours réciproque
Dans cette affaire, un incendie se déclenche sur des panneaux photovoltaïques installés dans le cadre d’un partenariat entre le locataire et un producteur d’énergie. Le bailleur engage la responsabilité du locataire (et du producteur et du vendeur des panneaux, et le preneur lui oppose la clause de renonciation à tout recours réciproque en cas d’incendie.
La Cour d’appel retient une faute lourde du locataire exclusive de l’application de la clause non-recours, pour n’avoir pas mis aux normes pendant plus de 14 ans cet établissement recevant du public. Le preneur se défend en pointant des non-conformités structurelles antérieures à la prise à bail.
La Cour de cassation rappelle que, sauf clause expresse, c’est au bailleur de réaliser les travaux de mise aux normes liés à l’usage prévu au bail.
Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir constaté au bail l’existence :
« d’une stipulation expresse mettant à la charge du locataire les travaux pour remédier aux non-conformités avec les règles de sécurité-incendie existantes au moment de la délivrance initiale des locaux loués ».
En d’autres termes, un transfert de cette obligation au locataire n’est possible que si le bail le prévoit de manière explicite et vise clairement les désordres préexistants.
Même si un preneur accepte les locaux « en l’état », cela ne décharge pas le bailleur de délivrer un bien conforme et exploitable (Cass. Civ. 3ème 5 juin 2002 n°00-19037 ; Cass. civ. 3ème 11 octobre 2018, n° 17-18553). La simple connaissance par le locataire des désordres préexistants ne suffit pas non plus à exonérer le bailleur.
Rigueur et vigilance sont donc de mise dans la rédaction du bail commercial.
Des clauses mal rédigées peuvent devenir inopérantes en cas de contentieux. Il est crucial que bailleur et preneur ne se méprennent pas sur la portée effective des clauses du bail, en se faisant conseiller par des professionnels du droit.
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Avocate Directrice