La mise en conformité des locaux : le piège du bail « tous commerces»

Le 12 septembre 2019

Cass. Civ. 3ème, 4 juillet 2019, n° 18.17.107

Dans cette affaire, une SCI avait conclu un bail commercial portant sur un hangar et sur un terrain avec une société locataire qui y exploitait un fonds de commerce de détail et de gros de marchandises « discount ».

La clause de destination dans le bail était rédigée de telle façon que les locaux pouvaient être exploités par le preneur à « l’exploitation de tous commerces ou fonds artisanal ».

La société initialement locataire a vendu son fonds de commerce à une autre société et un litige est intervenu entre la SCI et le nouveau locataire sur les travaux de mise en conformité à réaliser pour permettre de recevoir du public.

Le nouveau preneur a estimé devoir suspendre le paiement des loyers en invoquant le manquement du bailleur à son obligation de délivrance.

C’est dans ces circonstances que la Cour d’appel de PAU dans un arrêt en date du 31 janvier 2018 a considéré que le bail devait être résilié aux torts exclusifs du locataire à qui il appartenait de réaliser les travaux nécessaires à l’accueil du public dès lors que « la clause stipulant que la destination contractuelle est l’exploitation de tous commerces n’a pas pour effet d’obliger le bailleur à supporter les travaux nécessaires à une exploitation spécifique des lieux qui n’aurait pas été spécialement prévue et serait différente de la destination initiale ».

Elle ajoute « qu’il n’était pas expressément précisé au bail que le local devait impérativement répondre aux normes permettant de recevoir du public ; et que la locataire qui connaissait parfaitement les lieux, avait accepté de les prendre en l’état où ils se trouveraient le jour de l’entrée dans les lieux ».

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui, dans son arrêt en date du 4 juillet 2019 rendu par la 3ème chambre civile, au visa de l’article 1719 du Code civil, rappelle que « le bailleur est tenu de délivrer un local conforme à la destination contractuelle du bien, sans qu’une clause d’acceptation par le preneur des lieux dans l’état où ils se trouvent ne l’en décharge, doit sauf stipulations expresses contraires, réaliser les travaux de mise en conformité aux normes de sécurité qu’exige l’exercice de l’activité du preneur même si elle est différente de celle à laquelle les lieux étaient antérieurement destinés, dès lors qu’elle est autorisée par le bail ».

Cet arrêt ne fait que confirmer des points sur lesquels les praticiens doivent rester vigilants dans la rédaction des baux :

  • La clause « type » visant à faire accepter au locataire les locaux dans l’état dans lequel ils se trouvent au jour de l’entrée dans les lieux est inefficace et ne permet pas au bailleur de s’exonérer de son obligation de délivrance ;
  • Il reste, a priori, possible de mettre à la charge du locataire des travaux de mise en conformité des locaux. Cependant, il faut que cela fasse l’objet d’une stipulation expresse dès lors que cela déroge aux dispositions de l’article 1719 du Code civil. Il est par conséquent nécessaire de prendre soin de préciser la nature et l’étendue des travaux de mise en conformité mis à la charge du bailleur sans se satisfaire d’une clause de transfert rédigée en termes généraux ;
  • Il faut mettre en garde le bailleur sur la clause de destination du bail. En effet, le fait d’autoriser la destination « tous commerces » l’expose à devoir prendre en charge, tout au long du bail, et au gré des différentes activités envisagées par le locataire dans le local, les travaux de conformité qu’exigent ces différentes activités.

On imagine aisément les difficultés rencontrées par le bailleur qui ne s’inquiète pas, lors de la conclusion du bail, de l’activité exercée par son locataire qui ne nécessite pas de satisfaire à une réglementation particulière et qui se retrouve avec le même locataire ou son cessionnaire qui décide d’ouvrir un restaurant dans les locaux…

La Cour d’appel de PAU, essayant de restreindre les effets dévastateurs de la clause de destination contractuelle « tous commerces » a jugé que cette clause ne pouvait pas avoir pour effet de faire supporter au bailleur les travaux nécessaires à une exploitation spécifique des lieux qui n’aurait pas été prévue et serait différente de la destination initiale.

Cependant, c’était là vider de son sens la destination « tous commerces » qui a précisément pour objet d’autoriser l’exploitation d’une activité non prévue initialement dans le bail.

Il est par conséquent conseillé pour les bailleurs d’éviter d’accepter la clause de destination « tous commerces » qui peut se révéler un piège très coûteux.

A défaut, il faudra prendre soin dans la rédaction des clauses relatives aux travaux de mise en conformité.
Joachim Bernier
Avocat associé MRICS

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