JURISPRUDENCE – Le marché à forfait et les travaux supplémentaires : la procédure contractuelle de clôture des comptes ne peut pas remettre en cause la nature forfaitaire du marché

Le 5 juillet 2023

La Cour de cassation a rappelé une nouvelle fois que, dans le cadre d’un marché à forfait, l’entreprise ne peut réclamer le paiement de travaux supplémentaires que si ces travaux ont été préalablement et expressément acceptés. Il importe peu que le contrat fasse référence à la norme NF P 03 001 et que les parties aient décidé de se soumettre volontairement à la procédure de clôture des comptes prévue par cette norme.

Cass. Civ. 3ème, 8 juin 2023 n°22-10.393

En application de l’article 1793 du Code civil, « lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire. »

Pour obtenir le paiement de travaux supplémentaires, l’entreprise doit les avoir préalablement et expressément acceptés par le maître d’ouvrage.

Très régulièrement, des marchés à forfait sont conclus avec, en outre, la soumission de ce même marché à la norme NF P 03-001.

Pour rappel, cette norme prévoit une procédure détaillée de clôture des comptes. Le non-respect de la procédure et notamment des délais de réponse fixés dans cette norme peut avoir des conséquences importantes pour les constructeurs et/ou le maître d’ouvrage.

En effet, chaque transmission de projet de décompte ou de mémoire en réclamation fait courir un délai de réponse pour le maître d’ouvrage ou l’entreprise, sachant qu’à défaut de réponse dans le délai, le décompte transmis par l’une ou l’autre des parties est considéré comme réputé accepté.

Dans le cas d’espèce, à la suite de la réception des travaux, le maître d’ouvrage avait adressé à l’entreprise son projet de décompte final. Ce projet de décompte définitif faisait apparaître un solde négatif.

L’entreprise l’a contesté et a produit un nouveau projet de décompte faisant apparaître un solde en sa faveur dans lequel elle intégrait des travaux supplémentaires réalisés dans le cadre de ce marché à forfait.

Cependant, le maître d’ouvrage n’a pas contesté le nouveau projet de décompte général et définitif transmis par l’entreprise dans le délai fixé par la norme NF P03 001.

L’entreprise s’est donc prévalue de l’absence de contestation à son projet de décompte dans le délai prescrit pour faire juger que ce décompte devait être réputé accepté, de sorte que le maître d’ouvrage était tenu de procéder au paiement des travaux supplémentaires réalisés et visés dans le décompte, indépendamment du fait qu’elle ne justifiait pas que ces travaux avaient été préalablement acceptés par le maître d’ouvrage.

La Cour d’appel de Toulouse a fait droit à sa demande et a condamné le maître d’ouvrage à régler ces travaux supplémentaires estimant que « les deux parties ont considéré devoir se soumettre, conformément au marché, à la procédure d’établissement du DGD telle que définie par la Norme NF P 03 001 et rappelée ci-dessus.

Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge pour débouter la Sarl Sftag de sa demande, cette dernière a émis des contestations expresses et motivées sur le DGD que la Sarl Sovel Promotion considérait comme clos et accepté à défaut de réponse sous quinzaine.

En revanche, à défaut de toute réponse du maître de l’ouvrage dans le délai de 30 jours dont il disposait pour accepter ou refuser les observations de l’entreprise, celui-ci est réputé avoir accepté le solde du prix des travaux chiffré par cette dernière. »

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 8 juin 2023, a cassé cette décision et rappelé la primauté de la qualification du marché à forfait sur la procédure de clôture des comptes à laquelle se sont soumis volontairement l’entrepreneur et le maître d’ouvrage.

Aux termes de son arrêt, la 3ème chambre de la Cour de cassation rappelle qu’en présence d’un marché à forfait, le paiement de travaux supplémentaires ne peut être réclamé que s’ils ont été « préalablement autorisés par écrit et leur prix préalablement convenu avec le maître de l’ouvrage ou si celui-ci les a acceptés de manière expresse et non équivoque, une fois réalisés. »

Le fait que les parties se soient soumises volontairement à la procédure contractuelle de clôture des comptes ne prévaut pas sur la qualification du contrat à forfait. Ainsi, le silence du maître d’ouvrage qui n’a pas répondu dans le délai de 30 jours suivant la notification des observations de l’entreprise, ne vaut pas acceptation tacite du décompte général et définitif adressé par l’entreprise si ce décompte intègre des travaux supplémentaires dont il n’est pas établi qu’ils aient été acceptés.

En cas de travaux supplémentaires, et en présence d’un marché à forfait, il est donc INDISPENSABLE que le l’entreprise fasse régulariser un avenant au maître d’ouvrage.

A défaut, le maître d’ouvrage pourra s’opposer au paiement de ces travaux.

La soumission volontaire des parties à une procédure de clôture des comptes et le silence gardé par le maître d’ouvrage sur le décompte transmis par l’entreprise ne vaut pas acceptation tacite des sommes facturées au titre des travaux supplémentaires non acceptés au préalable.

Manon PHILIPPONNEAU

Avocat

Joachim BERNIER

Avocat associé

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